La publicité dure quinze secondes et date de 2017. Elle est passée à la télévision. La voici :

Lien vers la vidéo de la publicité Lustucru Quinoa Facile 2017

Quinoa Facile Lustucru

Nous sommes apparemment dans une cuisine. Un mur bleu surplombe un carrelage mural blanc et bleu (assorti à la boite de Lustucru). En arrière plan, une fenêtre de salon, indiqué par une plante placée devant la lumière, suggère qu’on est à mi-journée. Plan sur une boite de Quinoa « Facile » de Lustucru, sur laquelle on peu lire aussi « Délicieux » et « en 5 minutes ». Elle est tenue par un homme amusé, filmé buste compris, lui aussi habillé d’un pull col V de couleur bleue. Il semble lire au départ avec un sourire amusé un texte derrière la boite qu’il tient en main. Il décolle et lit le post-it-consigne laissé en évidence au dos de la boite: « A midi, fais-lui du quino quoi ? (en lisant le post-it) Du quinoa ? (en regardant la boite) « . Le ton devient un brin sot, tel celui d’un enfant qui fait semblant de ne pas comprendre ce qu’on lui demande de faire, emprunt de mauvaise foi donc. Ou alors il s’agit du ton qu’utilisent certain·e·s marionnettistes pour parler à leur public généralement très jeune (genre théâtre de Guignol). Et puis le plan change. Zoom sur son visage de face et la boite de quinoa, alors qu’il commente sa lecture d’un théâtral « Ouh…. la la la la… » tout en regardant le mot puis la caméra, avec un froncement de sourcils suggérant la taille de l’obstacle… en tout cas son inquiétude du fait de sa probable incapacité à suivre la consigne… (car va-t-il y arriver ?) Surgit alors en gros plan la secourable marionnette Lustucru (une manique à cheveux, yeux, dents) qui vient le rassurer d’un « T’inquiète ! C’est le Quinoa FACILE de Lustucru » (voix plutôt masculine modifiée). Puis une voix féminine, précisant les atouts produits (incarnant l’expertise culinaire ?), prend le relais ainsi : « Un sachet » (plan d’un sachet rempli de quinoa sortant de la casserole d’eau) « 5 minutes «  (plan d’une belle assiette remplie non seulement de quinoa mais aussi de légumes et de ce qui semble être des tranches de rôti de viande). Le temps et le niveau de complexité de préparation de ces autres aliments ne sont pas précisés (mais on sort de la gamme de produits de Lustucru). Puis le plan s’éloigne. Devant leurs assiettes respectives,  à table, l’homme (le père ?) regarde, en attendant le verdict, une enfant (sa fille ?) goûter le plat qu’il a préparé. La voix off féminine continue « Vous allez voir ». Puis le verdict de l’enfant tombe : « Mmmmmm ».  Puis plan sur l’homme qui a goûté également et s’exclame accompagné du langage corporel de deux marionnettes Lustucru « Ah ouais, ça c’est du quino waah…! » en regardant la petite fille. On la voit alors rire, complice et bonne spectatrice. Puis la voix off féminine conclut sur un gros plan de la boite de quinoa et de l’assiette garnie, surplombées du slogan QUINOWAHH ! : « Changez d’avis sur le quinowaah. »

L’objectif de cette publicité est de rendre le quinoa plus populaire, en suggérant la facilité de sa préparation. La marque d’agro-alimentaire se charge de vous rendre la vie plus facile en vous épargnant du temps en cuisine. La marque Lustucru ouvre donc sa gamme de produits en même temps qu’elle propose à ses client·e·s de diversifier leurs assiettes, sur un mode « c’est simple et rapide (comme des pâtes ou du riz), on a précuit la graine pour vous ».

Toutefois, elle diffuse d’autres messages plus ou moins consciemment, à partir de sa connaissance et de sa représentation de ses publics. Sa cible est familiale : dans cette publicité, l’enfant mange, l’homme cuisine sur instructions, apparemment la femme (la mère ?) prescrit. Nous pourrions aussi imaginer que ce soit le père qui ait écrit le post-it et que l’homme filmé soit en réalité dans l’entourage de l’enfant : l’oncle, le beau-père, le deuxième père, voire le voisin ou l’assistant maternel/paternel. Mais ces représentations éloignées des schémas traditionnels ne nous viennent pas immédiatement à l’esprit. Au contraire, la somme des clichés visibles ou qui sont spontanément appelés est assez importante. Puisque la publicité dure seulement quinze secondes, et que nous viennent des représentations stéréotypées, tenons-nous en à commenter ce qui est immédiatement suggéré…

  • Tout d’abord maman-nourricière absente est toutefois présente via les instructions qu’elle donne à papa (la femme/mère qualifiée confie son rôle habituel à l’homme/père non qualifié, elle est là qui contrôle en quelque sorte, pour que ce soit comme elle aurait fait).
  • Lui, apparemment exceptionnellement en charge de préparer le repas de l’enfant du couple, a l’occasion de découvrir un produit (la femme transmet sa connaissance à l’homme) et appréciera de savoir que sa préparation sera « simple et facile » (tu feras aujourd’hui à manger à ton enfant, mais tu ne sais pas t’y prendre et surtout tu n’as pas besoin de développer de compétences pour cela, ni de passer du temps : réjouis-toi).
  • L’homme communique à son enfant et avec nous sur un mode ludique, théâtral, exagérant les mimiques de son visage, se donnant en spectacle, utilisant des onomatopées et des marionnettes (ce serait intéressant de trouver des publicités qui mettent des mères dans cette posture… il ne m’en vient pas à l’esprit personnellement). Il joue un rôle pour l’occasion. La petite fille est bonne spectatrice, mange, sourit et rit, ne parle pas (sauf pour dire « Mmmmm »).

Est-ce juste une maladresse ? La marque Lustucru avait-elle l’intention de mettre en valeur les pères, de leur donner une place en cuisine, une place parentale ? Il est probable que la marque ne travaille pas encore assidûment cette question dans sa gamme « facile », si l’on en croit la publicité 2017 pour Couscous facile. Dans cette dernière, un enfant annonce que du couscous, sa MERE n’en fait jamais, parce que « pas le temps, compliqué » (le message ne précise pas si une autre personne de l’entourage proche de cet enfant en cuisine…). Nous noterons que les hommes sont appelés à cuisiner sur prescription (le quinoa), ou à cuisiner pour eux-mêmes quand Lustucru propose ses Lentilles faciles (aucune mention n’est faite d’une personne invitée à la fête). Tandis que quand les femmes ont un rôle, elle cuisent ou prescrivent pour les autres… Enfin, quand c’est le sachet qui a une ouverte facile (voir le sachet Riz Volution) , le père de la famille cuisine exceptionnellement et partiellement (« ok, c’est moi qui fais le riz ») et pour remédier à d’anciennes maladresses (avant il faisait tout tomber tellement c’était chaud). Quand à sa contribution au repas (faire le riz), elle est mi-remarquée mi-moquée (« Et tu as fait ça tout seul… »), mais surtout auto-congratulée (« trop facile ! »).

Suggérer que les hommes sont maladroits, incompétents ou en mal de reconnaissance dans un domaine habituellement associé aux femmes (faire à manger dans l’espace domestique) les infantilise et confirme les stéréotypes de sexe. De même, pérenniser l’image des femmes ou de mères qui maîtrisent, savent, contrôlent, prescrivent et se moquent de leur partenaire masculin dans un tel domaine renforce les représentations sur leur propre rôle domestique ou familial.

Violaine Dutrop